Le 2 octobre, le Député François Ruffin recevait des membres du Syrpa pour échanger autour de son livre « Un député… à la ferme » (2018, Fakir Editions) et de sa vision de l’agriculture. Un échange franc et direct au cours duquel le Député de la Somme a abordé notamment l’économie agricole et l’importance des  enjeux environnementaux.

Pour François Ruffin, la loi EGA, Etats généraux de l’alimentation, est une occasion manquée. « Au cours de mes rencontres avec les agriculteurs, j’ai ressenti la place pour le doute. Et le doute, c’est créateur, cela peut-être positif. Les agriculteurs s’interrogent pour à la fois gagner leur vie et donner un sens à leur existence. La loi EGA est une occasion manquée car il y avait là la possibilité de transformer des choses avec les agriculteurs. Et cela n’a pas été fait.
Le projet de loi EGA me convenait dans sa structure en faisant baisser le niveau d’angoisse existentielle (c’est-à-dire permettre aux agriculteurs de vivre correctement) et en même temps en proposant des perspectives de transformation. Malheureusement sur ces deux points, la loi n’apporte rien. »

Il faut démondialiser l’agriculture

Une des rencontres les plus enrichissantes que le Député a eue, c’est celle avec Bruno Dufayet, le Président de la Fédération Nationale Bovine, qui réclame un nouveau contrat social entre les agriculteurs et la société. François Ruffin estime « qu’il est aujourd’hui indispensable de fixer un cap pour l’agriculture. Ce cap aurait dû être fixé dans les années 70, quand la France a atteint l’autosuffisance alimentaire. On a laissé la machine fonctionner toute seule, en l’orientant vers la mission exportatrice de la France et de l’Europe, que j’estime être dans le prolongement de la mission civilisatrice de la France, avec le colonialisme. C’est une erreur pour les agricultures du Sud. Si on veut lutter contre les flux migratoires, cela passe par une réflexion sur l’agriculture dans les pays du Sud. Je suis partisan de sortir l’agriculture de la mondialisation. Je ne veux pas que l’agriculture française soit compétitive sur le plan des prix, sur le plan de l’environnement ou sur le plan fiscal ». Le Député plaide pour exception agriculturelle.

L’orientation souhaitée par le Député Ruffin porte sur un revenu garanti pour les agriculteurs, avec des outils de régulation classique (prix planchers, quotas d’importation, coefficients multiplicateurs pour la grande distribution…). « On assure ainsi un revenu des agriculteurs non pas dans une optique de conservation des agriculteurs mais dans une optique de transformation de l’agriculture (bien-être animal, diminution d’utilisation des phytosanitaires…). On ne peut pas demander aux agriculteurs de progresser sur tous ces terrains-là, si d’abord on ne leur garantie pas un revenu ».

Ce n’est pas le consommateur qui va transformer la société

Le Député Ruffin ne souhaite pas une agriculture à deux vitesses, ni une consommation à deux vitesses. « Le bio tire la machine en avant et constitue un éveilleur de conscience. L’objectif au final c’est que tout le monde puisse consommer une alimentation saine. Si un produit est nocif, il doit être interdit partout. Le consommateur a un porte-monnaie au niveau du cerveau, donc ce n’est pas au moment de l’acte d’achat que se font les grands choix de société. C’est la loi qui doit encadrer cela ».

D’ailleurs François Ruffin insiste très fortement sur la loi. « Je crois en tant que Député à la règle commune que l’on se fixe et que l’on respecte. On adopte une loi de la République et on est là pour tous la respecter. Il faut une loi et je ne crois pas à l’autorégulation par les agriculteurs, ni par les consommateurs, ni par les distributeurs, ni par les industries. Les lois doivent faire évoluer les pratiques à tous les niveaux ».

Et c’est du rôle des Députés que de voter les lois. Or les Députés, contrairement à ce qui peut être dit,  s’intéressent à l’agriculture. « La représentation nationale est hyper favorable aux agriculteurs. Les projets de loi sur l’agriculture mobilisent beaucoup plus les députés que les autres sujets, notamment pour des raisons socio-politiques. En effet l’influence des agriculteurs est bien supérieure à d’autres groupes sociaux. Il y a dans l’hémicycle, beaucoup de Députés de tous bords qui veulent défendre les agriculteurs ».

La contrainte est créatrice

Concernant l’interdiction des produits phytosanitaires, François Rufin souligne « que pour certains produits comme les néonicotinoïdes, il n’y a pas que des conséquences sur les abeilles mais également sur la santé humaine qu’il ne faut pas négliger et qui poussent donc à les interdire. Les questions environnementales ne sont pas aujourd’hui des questions de second ordre. Si les agriculteurs ne l’intègrent pas, ils vont se marginaliser dans la société ». Pour le glyphosate, le Député a rappelé qu’il avait voté contre son interdiction dans la loi mais il est pour le respect de la parole du Président Emmanuel Macron d’arrêter son utilisation d’ici 3 ans. Face à cette échéance, « on est condamné à trouver de nouvelles solutions. Et la contrainte est créatrice. L’esprit humain est fait pour inventer. Il y a chez les agriculteurs, des solutions qui sont sous-jacentes et ce ne sont pas forcément les forces organisées de l’agriculture qui l’expriment le mieux. Il y a une volonté chez les agriculteurs de changer de direction. Mais encore faut-il qu’ils ne vivent pas avec l’angoisse de ne pas pouvoir faire vivre correctement leur famille ». Mais encore une fois, pour cela, il faut fixer un cap pour l’agriculture, « pas un cap à 2 ou 3 ans mais un cap à 20 ou 30 ans » !